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ISBN 978-2-490956-05-0

corsaire d'ailleurs

Corsaire d'ailleurs

 

 

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Prologue

 

Je sens encore les embruns sur mon visage et le goût du sel dans ma bouche. Là, échoué à terre, et au crépuscule de ma vie, mes pensées me ramènent toujours vers ce capitaine de vaisseau à la voix rauque, celui qui m’a tout appris de mon métier, et de qui je tiens mon sens des valeurs. J’entends encore le bosco aboyer ses ordres entre les mâts, et rugir sur nous autres les chiens de mer. Je ressens à jamais le vent courir sur le pont, pour s’engouffrer dans les voiles, les gonflants de toutes ses forces, nous transportant de côtes en côtes, de ports en ports, toujours plus loin sur le vaste océan.

Ayant navigué longtemps, je n’ai jamais oublié mon pays, ma terre, ma Bretagne que j’affectionne tant. Sa défense fut un combat de tous les instants, et le ciel m’a accordé ce droit de rentrer chez moi.

 

 

 

I

 

C’était par un jour de gros temps comme il en existe tant d’autres dans l’Armor (pays du littoral) et l’Argoat (pays du bois), juste après la révolte des Bonnets rouges qui embrasait les villes et les campagnes de Basse-Bretagne, que me fut annoncée, sans état d’âme, la mort du père. À cette époque, la vie d’un homme ne valait rien, certainement moins que ses frusques et guenilles qui lui couvraient bras et jambes, et nul ne se souciait de nous, les pauvres Bretons illettrés. Sa charrette s’était renversée sur un petit sentier longeant le bord de la côte. D’après les dires, son corps gisait dans la lande, le crâne ouvert en deux contre un rocher. Je n’ai jamais vraiment su ce qu’il lui était arrivé, car nos chemins ne se trouvaient point sûrs, ni pour les voyageurs ni pour nous autres les paysans. Un grand nombre de coupe-jarrets fréquentaient les lieux et les disparitions étaient monnaie courante par chez nous. Me retrouvant démuni et sans le sou, le curé de notre paroisse prit sur lui de s’occuper de moi, tentant de m’enseigner les rudiments du français et du latin.

 

Une année s’écoula, pour que ma maîtrise de la langue, bien qu’imparfaite, me permette de comprendre ses inquiétudes à mon égard. En ce temps-là, seuls le patriarche ou mon roi pouvaient décider de mon avenir, je souhaitais ardemment garder les pieds dans le sol élevant des bêtes et volailles, et hériter de quelques lopins de terre perdus au fond du Pays Vannetais entre Le Sourn et Pontivy. Mes désirs ne formulaient rien de plus, mais les choses se passent rarement comme prévu, et, à quatorze ans, personne ne vous demande votre avis, même si tous vous considèrent comme un homme. Le printemps venait de succéder à l’hiver, et depuis plusieurs semaines, je travaillais dur aux champs pour une malheureuse pitance, lorsque, je reçus une visite inattendue. Le curé accourait au milieu des sillons pour me quérir et m’annoncer une grande nouvelle. Tel ne fut pas ma surprise de rencontrer un armateur des vaisseaux du roi qui tenait à m’entretenir d’une décision prise par Son Altesse à mon égard, comme à celle de plusieurs hommes de mon village et de ceux aux alentours.

 

De loin, j’observais ce petit homme le dévisageant longuement. Vêtu de pied en cap d’une tenue de velours jaune, garni de perle et finement ouvragé, il possédait tous les signes d’une certaine réussite sociale. De ses manches, débordaient des dentelles bouffantes d’un blanc tirant vers le gris, ses chaussures à belle boucle d’or se perdaient au milieu de la boue qui recouvrait le cuir d’un brun humide, il pataugeait dans une petite flaque, et ne semblait y porter la moindre importance. Un large chapeau à plume de paon bordé de liserés d’argent le distinguait de nous autres, cet artifice laissait à voir une perruque bouclée, lourde et couleur de jais. Dans sa main, il tenait cette petite canne à anse de nacre qui me laisserait un souvenir cuisant. Le curé me tira par le bras pour me présenter à lui.

— Monsieur l’Officier de la compagnie des Indes, voici le jeune homme Armel Louhoven que vous m’avez demandé de présenter devant vous prestement.

— Monsieur l’Abbé, vous me voyez honoré de vous être acquitté de votre tâche, le Duc de Chaulnes me fait dire par ma voix qu’il saura se montrer généreux avec le diocèse pour votre dévouement dans la sauvegarde des âmes des sujets de Sa Majesté en terre d’Armorique !

— Je ne fais que glorifier mon Roi et ma patrie, répondit l’Abbé dans une révérence maladroite.

Le serviteur de Louis le remercia d’un geste hautain de sa main gantée, le curé prit congé sans insister sur le pourquoi de sa présence. S’approchant de moi, dédaignant me regarder droit dans les yeux, et prenant soin de me contourner pour m’inspecter comme un vulgaire ballot de coton. Du coin de l’œil, je le vis libérer un mouchoir en soie de sa manche pour se l’appliquer sur le visage et se couvrir le nez, à croire, que le paysan que j’étais encore à cet instant précis sentait aussi mauvais qu’une étable. Se plaçant devant moi, à une distance de bras, il sortit d’une poche de sa veste, un courrier cacheté de cire rouge portant un sceau royal.

— Savez-vous lire ?

Il marqua un temps d’arrêt, me dévisagea encore. Son faciès inexpressif de petit-bourgeois ne montrait aucun signe de réflexion et conclut de lui-même.

— Mon idiotie n’a d’égale que votre ignorance, l’Abbé ne vous a certainement pas enseigné les rudiments de lecture et d’écriture à quoi bon cela vous servirait-il à vous autres ?

L’Officier de la compagnie des Indes prit un fou rire qui se termina dans une quinte de toux, preuve qu’il ne passerait pas un hiver de plus.

— Je vais donc vous lire cette missive du roi :

 

« Monsieur le Duc de Chaulnes, nos intentions étant de renforcer notre escadre de vaisseau face aux ennemis de la France, nous vous donnons tous pouvoir dans vos provinces afin de conduire en notre nom, l’enregistrement par la volonté ou par la force des matelots pour service au nom du roi, lorsqu’ils vous seront amenés vous les enverrez vers une affectation dans la rade de votre choix au sein du Royaume de France. La présente n’étant à d’autres fins, je prie Dieu qu’il vous ait, Monsieur le Duc de Chaulnes, en sa sainte garde. Écrit à Versailles, le treize janvier de ce mois, Louis XIV. »

 

— Que dois-je comprendre Monsieur dont le nom m’échappe ?

Je tentais de faire bonne figure, bien que le doute ne puisse être véritable, l’on essayait de m’arracher à ma terre par tout moyen en leur possession. Voyant ma déconfiture, il s’empressa de répliquer.

— Monsieur Adrien de Belle-Tour Officier de Vaisseau du Roi ! je vous prierai de ne pas écorcher mon nom ! Avez-vous compris vos obligations envers le Royaume de France et Sa Majesté ? Où dois-je vous faire embastiller pour susciter en vous la raison ?

— Ceci ne représente pas ma volonté, je désirais suivre la tradition familiale et cultiver la terre du Bon Dieu, nul des miens n’a jamais pris la mer, quand bien même nous ne la connaissons pas ou peu, et que je ne tiens pas particulièrement à la découvrir…

— Nul ne peut se dérober aux ordres du roi, vous embarquerez en rade de Saint-Malo au début du mois prochain, d’ici là, soyez un peu plus coopératif ! et un conseil en valant un autre, ne me forcez pas à revenir pour vous entretenir de vos devoirs envers la couronne et le roi, vous me verriez obliger de vous faire pendre haut et court ! Monsieur Armel Louhoven, vous recevrez vos papiers d’embarquements dans la quinzaine ! adieu !

 

Le petit officier, car il s’agissait bien de cela, tourna les talons et se dirigea vers un cheval de fort belle allure, il éprouva une certaine difficulté à se hisser sur le dos de l’animal, surgit alors en moi une multitude de questions à son sujet vinent m’assaillir concernant la sûreté de son pied de marin. La bête poussa un hennissement, et partit au galop le long du chemin, il s’éloignait rapidement, je pensais ne jamais le revoir, mais le destin m’avait préparé de nombreuses surprises dont je ne pouvais voir les prémices à cet instant. Une colère de désespoir m’envahissait pour le reste de la semaine, sans que rien ne vienne l’apaiser.

 

Le dimanche arriva, un dimanche pluvieux comme souvent, une pluie froide recouvrait notre campagne de son voile brumeux, me dirigeant d’un pas décidé pour l’office du matin, j’espérais secrètement trouver un peu de réconfort auprès du Seigneur. Le curé nous récita un passage de la Bible, une histoire entre Jonas et une baleine. Une histoire de repentir et de pardon. Je ne me sentais nullement touché par son discours, n’attendant pas la fin de la messe, je m’empressais de retourner travailler. Mais il faut croire que la malchance me poursuivait. Notre bon homme de la sainte Église, accompagné de quatre militaires ou miliciens, se dirigeait bientôt vers moi à grandes enjambées. À mi-distance, il m’interpella.

— Au nom de Dieu, ne résiste pas Armel, tu dois embarquer rapidement sur le Léone, ses hommes te conduiront à Saint-Malo…

— Que devient le délai qui me fut accordé ? demandais-je bêtement.

— Seul le roi décide, Le Léone embarque pour le Nouveau Monde sous dix jours, insista le curé.

— je refuse !

 

Là-dessus, je pris mes jambes à mon cou, courant à perdre haleine j’arrivais rapidement au fond du champ, sautais la haie de pierre et me précipitais vers la forêt, pour trouver un abri. La nuit vint rapidement, le froid humide aussi. J’errais tel un fantôme entre les arbres centenaires, m’accrochant çà et là dans les broussailles épineuses, toutes mes pensées positives étaient tournées vers mes parents et mon pays et ma morgue contre l’Officier de Vaisseau et son maudit Roi. Je finis par trouver une souche bien creuse où je passerais une nuit à la hauteur de mes erreurs. Un sommeil agité me prit empli de cauchemars. Je me réveillais à l’aube et décidais à contrecœur de prendre la route en direction de mon port d’attache. Un homme se doit d’affronter son destin.

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