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ISBN 978-2-490956-04-3

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Image par Alexandr Ivanov de Pixabay

Hellfire Club : Maison Close

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Prologue

 

 

Une voiture noire laquée, tirée par deux chevaux braies, emmenait une passagère dans un grincement incessant d’essieu. Chaque caillou, chaque aspérité, arrachait un hoquet à l’attelage, Rose ne supportait pas ces voyages cahoteux à travers les rues de Londres. Quittant sa banlieue de Kensal Green, verdoyante et pure, elle traversait à présent les bas-fonds de la capitale, crasseux à l’air vicié. Tout aux alentours semblait sombre et enseveli sous une épaisse couche de suie, les rejets du charbon alourdissaient l’atmosphère, même la brume se colorait d’obscurité. Les yeux perdus dans le vague, elle regardait le paysage défiler sans lui porter une trop grande attention, seule la voix de sa sœur l’envahissait. Cette maudite conversation de la veille au soir avait eu raison de sa patience, et leur relation toujours au beau fixe venait d’en prendre un certain coup, non pas que cela lui déplaise, mais cette fois le maximum fut atteint.

 

*

* *

 

— Chère et douce sœur, ne prends-tu pas en compte ce que je te dis ? Pourquoi faire un tel choix ?

— Et pourquoi devenir une épouse fidèle et trompée ? Hormis des obligations où se trouvera mon plaisir ?

— Dans celui de ton mari, il en est ainsi depuis des générations et, crois-moi, rien ne viendra bouleverser cet ordre moral !

— Tant qu’il y aura des esclavagistes, nous trouverons des femmes-objets !

— Avec un esprit aussi rouge comme le tien, tu seras enfermée d’ici peu !

— Rouge ? Non ! Tout juste libertaire !

— Tu serais donc prête à perdre tous nos privilèges pour échapper à tes obligations, tu souhaiterais que des jeunes femmes de notre rang travaillent comme de simples couturières ? Est-ce là l’avenir qui te plairait de voir ?

— Si cela pouvait enfin t’aider à ouvrir les yeux ? Oui !

 

*

* *

 

Rose avait encore le goût amer du ton dont elle usa en s’adressant à sa jeune sœur. Rongée par le remord, et tentant de tuer son ennui, elle sortit un petit manuel, comme il en existait tant d’autres, destiné à l’usage masculin uniquement, il expliquait les lieux à visiter dans le Londres du dix-neuvième siècle.

« Il existe différentes maisons closes, des établissements dits de luxe comme le Horse, que seuls les plus fortunés fréquentent, en opposition aux taudis d’abattage destinés à une clientèle des plus rustiques loin des fantasmes érotiques et de la fascination pour la prostitution dans la soie et le velours. »

Posant le livret ouvert sur ses genoux, Rose comprenait que, même dans l’orgie sexuelle, la lutte des classes trouvait un terreau fertile.

Le horse se situait en plein Londres entre La City et Whitechapel. Sa façade blanche se perdait avec le temps en des dégradés de gris, dû à l’usure des pierres sous un climat fort humide. L’établissement ne laissait rien paraître de son activité, seuls les habitués en connaissaient les secrets. Cette bâtisse ressemblait à toutes les autres. Et pourtant, derrière sa lourde porte noire se trouvaient les meilleurs services du Tout-Londres. D’après les rumeurs qui persistaient, tels des échos dans la ruelle encombrée de cabriolets et de chariots, la maîtresse des lieux vous accueillait dans un raffinement des plus ostentatoires, drapés rouge sang, roses fraîches, bustes de héros grec, sol de marbre alternant un damier de carreaux blancs et noirs, une réception digne de la cour de la Reine Victoria.

Nombre de fils de bonne famille couraient les filles de joie ou les gigolos. Tous les désirs pouvaient être assouvis du moment que Sterling et champagne s’accordaient pour une danse. La salle principale, d’où partait un magnifique escalier, proposait au regard, un décor somptueux de dorures et d’argent. Des courtisanes en tenue légère pour certaines, ou vêtue de robe de soirée pour d’autres, patientaient dans des poses provocatrices et lascives, attendant la volonté d’un client de les inviter dans une suite. Les marches menant au premier étage reprenaient les codes couleur du hall. Débouchant sur une galerie au mur tapissé d’un velours fuchsia doux et délicat. Des portes, toutes semblables, se proposaient aux loueurs de corps, chacune ouvrant sur un univers différent, où seul le sexe en était le point commun. Au bout de ce corridor aux fantasmes, une nouvelle série de marche vous proposait d’accéder à l’étage supérieur, ce dernier emmenait le client dans un voyage de sévices corporels, réservé uniquement aux habitués accompagnés d’effeuilleuse ou de jeune premier.

Rien ne prédestinait Rose à franchir la porte de cette maison de joie, seule la misère de sa future condition d’épouse venait à bout de son ressentiment à l’égard du plus vieux métier du monde. Il faut bien avouer que la société londonienne en pleine transformation, en pleine ébullition, trouvait la prostitution comme acceptable et un mal nécessaire.

Son seul devoir envers les bonnes mœurs restait de la contenir dans des endroits clos, loin du regard des foules, de peur que cette forme de libertinage contamine par son vice le reste de la société, et finisse par libérer les coutumes très embourgeoisées, voir constituer le point de départ de la libération de la femme de l’oppression masculine. La condition féminine constituait une illustration parfaite du paradoxe qui existait entre, d’un côté la puissance et la richesse, et de l’autre la misère sociale qui prédominait dans le royaume. Le statut de la femme mariée ne valait pas mieux que celui de l’enfant, pas le droit au vote, ni celui de porter plainte, ni même celui de posséder des biens propres.

Les glorieux intellectuels considéraient son corps tel un temple abritant une âme pure et innocente, pouvant se passer des plaisirs de la chair, trop souvent cantonnée dans un rôle de mère et de maîtresse de maison. D’aucuns prétendaient que ceci trouvait naissance dans le fait que la femme était propriété de son époux. Pour éviter tout emballement de la société envers le plaisir sexuel de l’homme, la prostituée devint courtisane, et le père, que la honte n’étouffait plus, emmenait son fils afin d’affirmer sa virilité et son amour-propre. Rose exécrait tout cela, mais se sentait attirée par les volutes de ce monde caché.

Le carrosse s’arrêta devant le Horse, Rose regardait par la petite fenêtre, sa main gantée de dentelle posée sur la poignée de la porte, prête à prendre pied sur le petit trottoir.

Son esprit se perdait en conjectures. D’un côté, l’impensable retour qui confirmerait les dires de sa jeune sœur, elle la voyait déjà prendre un malin plaisir à la torturer de ses petits rires espiègles et de ses remontrances, de l’autre, ce besoin irrépressible d’assouvir ce quelque chose qui l’attirait ici et qui l’accompagnait depuis des mois ! Une certaine forme de rébellion ! Bien sûr, toutes ces questions auraient dû être tranchées avant ! Rose avait conscience que la fille de joie serait toujours considérée comme mauvaise et perverse, elle contrebalançait l’image de la femme bourgeoise, intègre et respectable qui se reflétait dans son miroir. Elle, la gentille petite fille, bien élevée, de nobles lignées souhaitaient ardemment pénétrer dans ce monde, fait de lubricité et de voyeurisme, juste pour se prouver qu’elle pouvait mener sa vie sans l’aide d’un homme !

À l’époque victorienne, la prostitution comme un aléa, restait dévolue aux femmes de condition sociale misérable, ou ayant perdu leur destin, mais pas elle ! Bien au contraire ! Ses décisions avaient un goût de revanche !

Le cocher impatient s’empressa de venir déployer le marchepied, tendant une main ferme, Rose s’appuya comme une dame de monde. Des passants curieux, portant haut-de-forme et costume, observaient le manège. Leur regard accusateur se portait sur l’ouverture sombre d’où surgirait une nouvelle pensionnaire de l’établissement. Des enfants en habit de marin jouaient au milieu du trottoir en poussant une roue de fer sans rayons à l’aide d’un petit bâton, d’autres non loin de là, lançaient des billes dans un cercle. Tous poussaient des cris de joie et tous se turent en voyant une femme à la toilette raffinée se présenter devant le porche du Horse. Sa robe, ouverte sur le devant, en demi-queue arrondi, galbait une silhouette héritée du Directoire.

La taille haute remontait ses seins, offrant au regard une poitrine généreuse couverte d’un canezou en mousseline brodée. Ses épaules dénudées, frêles et blanches tranchaient sur un vert sombre. Des gants de fines dentelles montants sur les manches et rehaussés de précieux bijoux démontraient un certain raffinement. Un châle de cachemire pendait sur son bras. Ses bottines lacées de cuir dénotaient ses moyens financiers et ses cheveux blonds attachés par un ruban de dentelle, laissaient glisser sur son dos des Anglaises. Tenant un petit parapluie, elle se dirigea vers l’entrée, le conducteur l’accompagnait en portant son unique bagage. Tous avaient connaissance de ce qui se tramait derrière les murs, d’aucuns n’auraient pu imaginer voir une jeune femme de bonne famille se présenter dans un lieu de débauche, même des plus raffinés.

La cloche tinta, un homme de forte stature ouvrit la porte, la cicatrice qu’il portait sur la joue laissait entrevoir son passé de débauche. Il ne l’invita pas à entrer immédiatement.

— Veuillez m’annoncer au propriétaire des lieux !

Rose ne renonçait pas, malgré une montée d’adrénaline due au stress qui l’envahissait.

— Et qui dois-je annoncer ?

— Rose Abbott.

Il la dévisagea un court instant de ses grands yeux bleus, instant qui sembla durer une éternité, il ajouta.

— Suivez-moi princesse ! Vous attendrez dans le petit salon.

De par son comportement envers elle, cet homme semblait la considérer comme une nouvelle pensionnaire, une nouvelle prostituée.

Le petit salon, meublé et décoré avec soin, semblait accueillant. De grands miroirs Louis quinze, en bois sculpté et doré à l’or, lui renvoyaient ses propres craintes. Des canapés italiens laqués noirs, aux motifs de feuilles d’acanthe stylisées, étaient recouverts d’un élégant velours couleur framboise et garnis de coussins moelleux. Une cheminée marbrée rose, contenait un âtre chaud et agréable, posé sur la tablette une horloge et deux bougeoirs d’argent. Sur un guéridon de bronze reposaient des coupes et une carafe en cristal de Baccarat, contenant un liquide sombre sirupeux. En toute discrétion, elle retira délicatement le bouchon, pour apprécier les senteurs boisées. Maladroite, Rose laissa lui échapper le morceau cristallin, qui échoua sur le tapis du Moyen-Orient qui recouvrait le sol. Sa fabrication minutieuse était sans aucun doute l’une des manifestations les plus distinguées de la culture et de l’art persan. Les grandes portes sculptées restaient désespérément closes. Attirée par la lumière du jour, Rose se dirigea vers les grands carreaux transparents.

À l’extérieur, une foule importante se déplaçait en tous sens, de jeunes vendeurs de journaux criaient la dernière une, un certain Jack l’Éventreur faisait parler de lui depuis presque un mois. Des enfants en guenilles se disputaient les faveurs des passants, la mendicité gagnait peu à peu tous les étages de la société et serait bientôt aux portes de La City. La noirceur du tableau londonien tranchait avec les voluptés du Horse, à croire que deux mondes bien distincts se forçaient à cohabiter côte à côte. Un bruit de verrou la fit sursauter. Une femme raffinée à l’extrême pénétra dans le salon, répondant au doux nom de Doris. Elle avait un visage ovale et un teint de poupée de porcelaine, laiteux aux joues rehaussées de rose pâle. Ses yeux en amande d’un bleu profond observaient Rose comme un fauve prêt à bondir. Ses cheveux longs et blonds comme les blés brillaient de mille feux. Un petit nez court et droit et sa grande bouche aux lèvres sensuelles et pulpeuses la rendaient désirable pour plus d’un homme. Elle se dirigea vers Rose d’un pas naturel gardant la tête haute comme pour marquer son rang. Doris, harmonieuse et de petite taille, exhibait fièrement ses formes généreuses. Son dos bien droit accentuait sa déambulation dans la pièce et sur ses épaules nues, un dessin à l’encre de Chine représentait des papillons. Habillée d’une robe couleur rubis commandée chez un grand couturier, son élégance faisait pâlir de jalousie bon nombre de femmes de la haute société. Sa toilette suffisamment près du corps accentuait ses courbes. Tout en elle respirait le luxe.

— Mademoiselle Rose Abbott ? Puis-je vous être utile ?

— Je ne sais pas… je ne sais plus…

Devant son destin, Rose se sentait défaillir.

— Vous êtes bien venues me rendre visite ?

— Oui, mais maintenant que vous voici face à moi, des doutes m’envahissent soudain, me perdant en conjectures je ne trouve pas le moyen de vous exprimer le contenu de ma visite.

— Commençons par le début, je me présente, Mademoiselle Doris Brown, propriétaire de ce club, et heureuse de vous rencontrer Mademoiselle Abbott, votre père se trouve être le riche industriel ? Arrêtez-moi si je me trompe.

— Vous semblez me connaître, mais personnellement, je n’arrive pas à remettre notre rencontre dans un temps et un lieu…

— Il me parle souvent de vous, il se trouve que votre père est l’un de nos plus fervents donateurs, lui et votre mère pour être exacte…

Elle prit un instant pour regarder Rose droit dans les yeux, le sourire de façade qu’elle tentait désespérément de conserver, disparue. Doris ajouta.

— … À votre visage, je vois que vous n’étiez pas au courant, vous me voyiez désolée de vous apprendre une telle nouvelle, chacun connaît l’attirance de vos parents pour le Horse, et il est de notoriété publique que leurs activités privées passent par nos murs.

— Qui aurait pu s’imaginer pareil secret, jamais je n’aurais pu les soupçonner, moi qui souhaitais rompre avec leur tradition absurde et les devoirs narquois.

— Vous veniez à moi pour devenir courtisane ?

Doris avait un semblant de panique au fond de la gorge, si pareille nouvelle se propageait, les conséquences ruineraient à coup sûr son établissement. Elle fit signe à son valet de quitter la pièce, Doris chuchota.

— Quelles idées vous sont passées par la tête ! Vous rendez-vous compte si votre père venait à apprendre que sa propre fille veut se prostituer ? Rose, vous devez comprendre qu’une maison close reste un lieu de débauche et de luxure, mais derrière la façade, et, quel que soit l’écrin dans lequel nous présentons les femmes, elles sont prisonnières de leur métier en permanence sans pouvoir en sortir librement. Vous regardez le Horse comme une maison de standing, mais sachez que la haute société n’a d’égale que ces désirs les plus pervers. Certes, nous ne sommes pas un lupanar, certes notre clientèle vous semble très distinguée, mais sachez que les pratiques proposées ici sont extrêmes, saphisme et sodomie font partie de notre pain quotidien, comme le fouet et les insultes ! Mais vous, douce jeune fille, vous vivez la naissance du romantisme, qui vénère la beauté de la féminité, le monde vous idéalise pour mieux vous préserver. La galanterie devient la mode des gentlemen, pas pour les pervers et autres vicieux qui profitent de nos corps, mais leur fils, ses mêmes fils qui doivent vous faire une cour assidue. Une femme avec des mœurs légères n’a aucun pouvoir sur les hommes ni de droit, sa présence ne remplit qu’un besoin biologique et rien d’autre !

— Et les sentiments ? Personne n’en fait étalage ! Le mariage forcé n’a-t-il pas pour égal une certaine forme de soumission par la domination ? Le mariage est donc à vos yeux la seule priorité de toute jeune fille de bonne famille !

— Votre intelligence ne fait aucun doute mon ange… Alors contre toute attente voici comment fonctionne notre établissement.

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Libertinage

 

 

L’Angleterre traversait une période des plus austères, tout se subordonnait au respect des us et coutumes d’un autre siècle, la moralité et l’étiquette supplantaient les lois, et les maisons de joie prenaient une vocation de lien social. Le Horse ouvrait ses portes à vingt heures. Tous se pressaient à l’entrée dès la nuit tombée. Les rires et les bavardages emplissaient le grand salon, les filles s’agitaient pour attirer des faveurs, les hôtes ne restaient pas insensibles à leurs badinages. Doris, accompagnée de Rose, passait de couple en couple, de trio en trio. La maîtresse de maison ne souhaitait pas jeter sa nouvelle protégée en pâture à ses animaux sauvages. Pour l’occasion, elle lui donnait une tenue légère à revêtir, un demi-masque, une robe avec ses bas assortis, le tout fabriqué dans une dentelle noire des plus fines. Rien ne cachait sa féminité, laissant l’œil des convives attiser leur fantasme. Quelques mains baladeuses lui caressaient les fesses sur son passage lui arrachant quelques sursauts bien mal venus dans cet univers. Force fût de constater que les plus vieux semblaient les plus pervers, même si leur vigueur les avait depuis longtemps abandonnés, ils aimaient regarder leur semblable dans des plaisirs inavouables. Doris présenta Rose à un homme en particulier, habillé de pied en cap en maharaja.

— Bonsoir, Sir Francis Dashwood, heureuse de vous revoir parmi nous.

Vivant dans l’opulence, Sir Francis Dashwood, fils d’une famille aristocratique fabuleusement riche, résumait à lui seul la somme de bien des contradictions, grand amateur d’arts, intellectuel, propriétaire terrien humaniste, débauché éhonté, beaucoup le qualifiaient de violeur sodomite. De stature moyenne rien ne lui donnait un avantage de dominant. Son visage en lame de couteau, bouffi et rosacé, démontrait un certain intérêt pour l’alcool comme le soulignaient les petits vaisseaux de ses joues. Ses petits yeux bruns, fielleux, surmontaient un nez bien droit et de bon taille. Pour ne rien arranger, sa chevelure châtain clair se bouclait naturellement et accentuait la dureté de son apparence.

— Bonsoir Doris.

Il l’embrassa sur la joue en n’oubliant pas de lui caresser les seins au passage. Il renchérissait immédiatement.

— Mais qui est cette femme fatale et mystérieuse ?

— Une protégée dont je m’occupe personnellement…

Elle n’eut pas le temps de terminer sa phrase que déjà Sir Dashwood serrait Rose dans ses bras. Ses mains en profitaient pour explorer ses formes. Mais, à sa grande surprise, une cravache se posa sur le bout de son nez.

— Monsieur soit vous ôtez vos mains, ou vous goûterez à ceci !

Un homme d’une quarantaine d’années interprétant Giacomo Casanova à la perfection s’imposa à lui. Vêtu uniquement d’une chemise de soie laissant apparaître son torse et d’une perruque poudrée, il se présentait comme un aventurier à la découverte des plaisirs charnels et surtout le roi de la séduction. Par jeu, Sir Dashwood présenta son arrière-train qu’il s’empressa de fouetter vigoureusement, tous deux riaient, mais tout ne dura qu’un temps.

— Vous voilà encore Casanova de carnaval, celle-ci est à moi, trouvez-vous en une autre !

— Monsieur, tout ce que vous considérez comme votre possession finit toujours dans mon lit ! Laissez-moi monter cette mystérieuse courtisane, pour ensuite vous en raconter ensuite les moindres détails. Prenez à votre guise, Abby ou Margaret, elles se feront une joie de vous faire une petite gâterie !

Sir Dashwood se retourna vers Doris, ses petits yeux fielleux la suppliaient de faire taire cet indignant.

— Votre prix sera le mien ! lâcha-t-il ! Voici de l’or contre son corps !

— Chers amis, vous m’en voyez désolé, mais cette jeune personne est présente uniquement pour mon bon plaisir, elle ne partagera que ma couche.

Doris sauvait la situation en embrassant Rose, sa langue s’enroula avec la sienne, donnant ainsi du grain à moudre à l’assemblée. La prenant par la main, Doris l’emmenait dans une pièce cachée. Les miroirs du grand salon se trouvaient être sans teint, ce qui permettait à la maîtresse des lieux de surveiller discrètement le bon déroulement des soirées.

— Nous avons échappé au pire ! Sir Dashwood à une réputation d’animal auprès des filles, je n’aurais pu me résoudre à te laisser seule avec lui, ses fantasmes heurteraient la morale publique !

— Heurter la morale ? Pourtant, nous nous devons d’assouvir leur besoin…

— Pas au prix fort ! Les femmes présentent chez moi pratiquent toute sorte de sexualité, mais il ne peut pas toutes les obliger ! Il a bien essayé avec moi également et mon refus engendrait chez lui une colère si terrible que je l’interdisais de club pendant des mois !

— Vous me voyez confuse, par ma faute vous pourriez perdre un client.

— Aimez-vous la sodomie ?

Rose resta stupéfaite de ce terrible aveu, et ne disait plus un mot.

— Votre non-réponse me laisse à penser que vous n’avez jamais eu de relation avec un homme.

Doris exposa sa vision sur la suite des évènements, Rose devrait prendre son temps pour acquérir l’expérience. Elle lui enseignerait les rudiments de la profession. La première soirée touchait à sa fin, les portes se refermaient derrière les derniers clients, quand un homme portant cape et gant se présenta, il frappait avec insistance. Doris ouvrit et entraîna le mystérieux visiteur dans son bureau. Des éclats de voix envahirent rapidement les couloirs vides.

— Les relations entre hommes et femmes sont compliquées par des années de clivages vos codes sont peu enclins à libérer les mœurs. Votre pression sociale et familiale ne permet pas les rapports intimes, vous laissez les mains libres aux bordels et autres établissements à vocation sexuels, et vous venez chez moi me donner une leçon ?

— Ma femme est cliente chez vous ! J’irais dès demain consulter mon avocat, croyez-moi vous allez le regretter !

Le lourd battant se referma brusquement, comme poussée par une brise invisible. Un silence pesant s’abattit sur le royaume aux fantasmes, une inquiétude naissait en Rose. Tendant l’oreille, pas un chuchotement ne troublait l’air. Voulant savoir, elle se précipita vers la porte, un râle étrange provenait de l’intérieur, épiant par la serrure, Rose fût choquée au commencement, son pouls s’accélérait, son cœur battait fort dans sa poitrine, proche de l’évanouissement, elle respirerait profondément. Son calme revint avec une pointe d’excitation. Elle pouvait enfin apercevoir ce que le pantalon cachait de l’homme. Le petit trou au milieu du bronze laissait entrevoir Doris, affairée à un entretien intime avec son agresseur. Une chose, hideuse et flasque, rentrait et sortait de la bouche de sa maîtresse sans que cette dernière n’eût le moindre dégoût, du moins les faits en laissaient cette interprétation. Plus elle accentuait le geste pour lui procurer du plaisir, plus il se tendait. Ce fut dans sa main que la pression se relâcha accompagnée d’un son rauque.

Toutes les affaires qui risquaient de troubler l’ordre public se réglaient ainsi, dans le feutré, et tous s’en arrangeaient et s’en donnaient à cœur joie dans une société puritaine à outrance. C’est au milieu de cette fange que naissait cet esprit libertin.

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